Dernières embrassades... sanguinaires

Le soleil s’était couché, et la plupart des habitants des Terres Argentées avec lui.
Dans un élan opposé, les créatures de la lune s’éveillaient, assoiffées de proies et de sang. Toutes sauf une.

Fort du clan de l’Ordre, silence et calme, Isamu contemplait sa succube Morrigan. Sa chevelure parfaite s’étalait sur l’oreiller comme une invitation. Cela faisait plusieurs semaines que sa tendre était plongée dans un sommeil de vampire.
Ce sommeil est spécifique à la race des vampires, les faisant peu à peu perdre prise avec la réalité, pouvant durer années ou siècles, sans repère aucun.

« Morrigan »
Rien.
« Morri, réveille toi ! »
Les paupières s’ouvrirent, telles des portes ouvrant sur l’esprit.
« Qu’y a-t-il ? On a encore gagné un concours ? Des pièces d’or ? »
Sourire aux lèvres, Isamu répondit :
« Non, cela fait quelques semaines que tu dors… je crois que tu démarres un sommeil vampirique. »
« Ohhh, c’est vrai ? Mince… je suis vraiment désolée, mais je crois que j’ai perdu un peu l’envie. L’appel du sang se fait moins fort, mon intérêt pour les combats et guerres de notre monde s’est dissipé comme une peau de chagrin, et j’avoue que je ne me tiens plus au courant de l’évolution de notre clan... »
Une mine songeuse, presque coupable, s’était dessinée sur les traits de Morri. Isamu ne pouvait rester insensible, et la rassura :
« Cela arrive. Cela fait partie des choses que l’on ne maîtrise pas. Mais je pense que l’on doit prendre une décision : que comptes-tu faire ? »
« Je vais prendre du recul. Je vais retourner dans mes montagnes d’enfance, retrouver mon premier cercueil et dormir tant qu’il sera nécessaire. Je reviendrai peut-être, mais rien n’est moins sûr. »
Isamu fut désarmé par tant d’assurance et par la brutalité de la nouvelle. Un coin de son esprit s’était naturellement préparé à cette issue, mais maintenant qu’elle était confirmée et palpable, un poids oppressait la poitrine du jeune vampire.
« Qu’il en soit ainsi. Mon cœur est déchiré par cette nouvelle, mais je respecte ton choix. Mais avant de partir, je t’invite à une dernière chasse nocturne sur Baduk. »
« Baduk ?! Mais pourquoi ? »
« En souvenir de l’ancien temps, lorsque nous appréhendions le passage en ville, sous la menace des assassins peu scrupuleux. Lorsqu’une écaille de dragon noir était presque synonyme de richesse. Lorsque le feu de notre amour était jeune et chargé de promesses. »
Morrigan se pencha vers Isamu et l’enlaça sans un mot. Après de longues minutes, le chef de clan mis fin à cet instant magique :
« Allons-y. »

Baduk, au sud des montagnes orientales bordant les limites des Terres Argentées.
Arrivé sur les lieux, Morrigan se léchait les babines, telle la créature sauvage qu’elle devenait en ces circonstances.
Isamu fit chanter le métal froid en dégainant ses deux lames ornées de runes. Non loin de nos deux créatures sanguinaires, les dragons noirs volaient de montagne en montagne.
Isamu bondit le premier.
Dans une exquise brutalité, il trancha la tête du premier dragon. Le deuxième eut le cœur transpercé, après que la lame se soit frayée un chemin entre les côtes. Dix secondes plus tard, un troisième dragon fut égorgé, couvrant le sol d’une substance sombre et fumante.
Plus de raison, plus de calcul. Place aux lois de la nature sauvage : un chasseur, des proies ; la vie et la mort associés dans un funeste ballet.
Isamu n’avait jamais abattu ces monstres avec tant de fureur. Colère de ne pas maîtriser l’essentiel, colère de perdre une âme sœur, colère du vide qui s’annonçait.

Morrigan l’avait rejoint, et avec plus de grâce, se sustentait du liquide noirâtre jaillissant du poitrail d’un quatrième monstre.
Isamu se faufila avec discrétion derrière elle, puis saisi avec fermeté le poignet droit de son ancienne maîtresse. D’un geste sec, il la retourna et la plaqua contre lui, sans alternative. Les deux visages étaient à présent très proches, leurs souffles se rencontraient, et la peur se dessinait dans les yeux de la succube. La frontière ténue entre l’amour et la folie serait elle en train de disparaître ?
Les lèvres se retroussèrent, laissant apparaître les crocs scintillant dans la pâle lumière. Ces derniers plongèrent dans la chair tendre et chaude, comme mus par une volonté propre. Isamu buvait l’énergie de Morrigan, et cette dernière l’imita rapidement, perçant à son tour ses canines dans l’artère de son fiancé.
Enlacés, les deux êtres immortels se livraient à un dernier échange intense et infini, et s'envolèrent vers un lieu où les mots n’ont plus leur place.